
Il y a un siècle, le royaume du Siam, connu aujourd’hui sous le nom de Thaïlande, était une monarchie absolue dirigée par une dynastie qui régnait depuis des siècles. La vie quotidienne était rythmée par les traditions ancestrales et le respect immuable envers la figure royale. Mais en 1932, un événement inattendu allait bouleverser cet ordre établi : le coup d’État dirigé par un groupe de militaires et d’intellectuels progressistes connu sous le nom du Khana Ratsadon (Parti du Peuple).
À la tête de ce mouvement se trouvaient des figures emblématiques comme Phraya Manopakorn Nititada, plus connu sous son nom occidental, Phibun. Né dans une famille noble de la province de Bangkok en 1894, Phibun était un jeune homme ambitieux et pragmatique qui avait reçu une éducation militaire approfondie en Allemagne. De retour au Siam après la Première Guerre mondiale, il observa avec lucidité les inégalités sociales persistantes et le manque de progrès politique dans son pays.
Phibun croyait fermement que le seul moyen de moderniser le Siam était de mettre fin à l’absolutisme monarchique et de créer un système politique plus démocratique. Il rallia autour de lui une équipe de penseurs éclairés partageant sa vision, parmi lesquels des officiers supérieurs, des professeurs d’université et même des journalistes.
Le 24 juin 1932, alors que le roi Prajadhipok (Rama VII) était en voyage à Hua Hin, la capitale du Siam fut silencieusement prise par les membres du Khana Ratsadon. La troupe s’est déplacée avec une efficacité étonnante, sans effusion de sang. Les postes de radio furent occupés, les journaux saisis et les communications gouvernementales interrompues.
Le lendemain, un communiqué officiel annonçait la fin de la monarchie absolue et l’instauration d’une nouvelle forme de gouvernance : la “monarchie constitutionnelle”. Le document énonçait clairement les aspirations du mouvement : instaurer une justice sociale, garantir l’égalité des droits pour tous les citoyens siameses, et favoriser le développement économique.
Il est important de noter que ce coup d’État n’était pas motivé par une volonté de détrôner le roi Prajadhipok. Au contraire, Phibun et ses partisans souhaitaient maintenir la monarchie comme symbole de l’unité nationale, tout en limitant son pouvoir politique. Un nouveau gouvernement dirigé par un Premier ministre était mis en place, responsable devant une assemblée nationale élue.
Le roi Prajadhipok, confronté à cette situation inédite, accepta finalement la nouvelle constitution après quelques mois de négociations. La Thaïlande entrait dans une nouvelle ère, marquée par des changements importants sur les plans politique, social et économique.
Les répercussions du Coup d’État
Le coup d’État de 1932 a eu un impact profond sur l’histoire de la Thaïlande :
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Modernisation du pays: Le Khana Ratsadon engagea une série de réformes visant à moderniser le Siam. La construction de routes, de voies ferrées et d’écoles fut accélérée. L’agriculture était encouragée, ainsi que les industries naissantes.
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Émergence d’une société civile: Le mouvement a créé un espace pour l’expression des opinions et la participation citoyenne. Les journaux pouvaient désormais critiquer le gouvernement sans crainte de représailles. Des associations civiles se sont développées pour défendre les intérêts des travailleurs, des femmes et des minorités.
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Transformation du rôle de la monarchie: La monarchie thaïlandaise a perdu une partie de son pouvoir politique, mais elle a gardé un statut symbolique important. Le roi est devenu une figure de rassemblement nationale et continue de jouer un rôle prépondérant dans la vie sociale et culturelle du pays.
Cependant, il faut noter que cette transition vers un système politique plus démocratique a connu des difficultés. Phibun, qui était devenu Premier ministre en 1938, a imposé un régime autoritaire. L’opposition politique fut réprimée et les libertés individuelles limitées. La Thaïlande entra alors dans une période de turbulences politiques et sociales, marquée par la Seconde Guerre mondiale et l’instabilité économique.
Malgré ses imperfections, le coup d’État de 1932 reste un événement majeur dans l’histoire de la Thaïlande. Il a ouvert la voie à la démocratie et à la modernisation du pays. L’héritage de Phibun et du Khana Ratsadon est complexe et sujet à interprétations. Mais leur courage et leur vision ont contribué à façonner la Thaïlande moderne que nous connaissons aujourd’hui.
Le contexte international
Il est important de noter que le coup d’État de 1932 ne fut pas un événement isolé. Il s’inscrivait dans un contexte mondial marqué par la montée des idées nationalistes et démocratiques.
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L’exemple de la Révolution française (1789) : La révolution française a inspiré les mouvements pour la liberté et l’égalité dans le monde entier.
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La naissance de républiques en Europe et en Amérique latine: Dans les années 1920-1930, de nombreux pays ont choisi de remplacer leurs monarchies par des systèmes républicains.
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L’influence du marxisme: Les idées de Karl Marx sur l’exploitation sociale et la lutte des classes ont gagné en popularité dans le monde entier.
Phibun et ses partisans étaient conscients de ces mouvements internationaux et s’inspiraient des réussites des autres nations. Ils croyaient fermement que la Thaïlande avait besoin de se moderniser et de se libérer du poids de ses traditions anciennes pour devenir un acteur majeur sur la scène internationale.
Le coup d’État de 1932 a ainsi marqué une rupture avec le passé et l’ouverture vers un futur incertain. La Thaïlande était entrée dans une nouvelle ère, marquée par des défis importants mais aussi par des opportunités uniques.